Leur boussole est détraquée mais tous ne perdent pas le Nord

Ils ne savent plus très bien où ils en sont, seul l’instinct de conservation les guide ! Les uns brandissent le spectre du retour de l’inflation, d’autres celui de la « japonisation ». Tous remettent à plus tard le moment où il va falloir traduire leur pensée dans les faits.

L’OCDE vient pourtant de sonner le glas en annonçant que la dette publique des pays riches a augmenté de 17.000 milliards de dollars en raison des mesures de soutien qu’ils ont déjà pris. Un chiffre provisoire, est-il précisé. Un ratio de référence de plus vole en éclats, ce montant représentant 137% du PIB, pulvérisant le seuil de 90% qui ne devait en aucune mesure être dépassé. Ce qui conduit l’OCDE à s’interroger sur la soutenabilité de la dette publique et privée, une question que l’on croyait réservée aux pays peu vertueux, la perspective d’une relance économique en « V » n’étant plus d’actualité.

Pire, l’organisation en vient à évoquer que de nombreux pays pourraient avoir à faire face à « un environnement économique similaire à celui que connaît le Japon depuis l’éclatement de sa bulle financière au début des années 90. » Une situation dont il ne s’est jamais remis, qui est considérée en référence à Keynes comme un « piège à liquidité », un « trou noir » de la finance dont on ne sort pas dirait-il sans doute aujourd’hui. Ce serait l’horreur, car les dirigeants politiques et les banquiers centraux sont démunis face à cet ultime avatar du système financier !

Pour y échapper, les doctrinaires qui ne démordent pas de leurs certitudes brandissent contre toute vraisemblance le retour de l’inflation pour justifier la fermeture des robinets. Ils veulent croire qu’en dépit de la récession et de la chute prolongée prévisible de la consommation, les prix recommenceront à grimper, ce que les dirigeants japonais n’ont cessé d’espérer en pure perte depuis 40 ans…

Certains d’entre eux, plus prudents, reconnaissent que ce retour pourrait demander quelque temps, une question de « timing », admettent-ils. Ce qui renvoie la confirmation de leur assertion à bien plus tard, de manière confortable, ce qui ne les empêche pas de vouloir serrer les cordons de la bourse dès maintenant. Image de la vision de ces économistes égarés dans leur pensée, il ne leur vient pas à l’idée de peser les incidences économiques, sociales et politiques de la stratégie qu’ils préconisent. Les faits ne peuvent pas donner tort à leur conception du monde. Pour tout dire, ce sont de véritables dangers publics pour ceux qui ont compris qu’il allait falloir ruser afin de préserver l’essentiel.

Gérald Darmanin, le ministre français du Budget, est de ceux-là. Il annonce que la dette publique va « sans doute » dépasser 115% du PIB à la fin de l’année, ajoutant   « ce sont des choses trop importantes pour pouvoir faire des commentaires avec le doigt mouillé », laissant présager que le « sans doute » n’est qu’une clause de style et qu’il n’en restera pas là. Pour retomber sur ses pieds, il déclare faire « confiance aux acteurs économiques et à la croissance qui crée la richesse et permet de rembourser cette dette ». N’anticipons pas, le temps viendra où le « mur de la dette » réapparaitra dans le discours !

10 réponses sur “Leur boussole est détraquée mais tous ne perdent pas le Nord”

  1. La dette préoccupe beaucoup les déshérités lorsqu’on leur demande de la rembourser et les riches lorsqu’on propose un jubilé.
    Dans une démocratie ça ne devrait pas poser de problème.
    Oui, mais voilà…

    1.  » rien n’est joué et tout dépendra de ce monde de l’après virus »

      Tout ceci sous réserve que Mister Covid ne réapparaisse pas cet automne car il est supposé aimer l’humidité et les températures inférieures à 10 degrés.
      S’il revient en force en Octobre et que le PIB se reprend -5% …
      Tous à la campagne à jardiner ?

  2. Quand de l’argent est prêté à un tiers , le prêteur a la conviction qu’on le lui rendra. Quelle est la justification morale d’un non remboursement? Les conséquences dans la vie de tous les jours sont immédiates : les réserves des caisses de retraite, tout au moins de certaines, autonomes et bien gérées, sont de la dette, ainsi que les contrats d’assurance vie.

  3. Quelle est la proportion sur ces 17 000 000 000 $, ayant servi à la subsidence directe des citoyens ?
    Quelle est la proportion ayant servi à l’investissement de politique économique « sustainable » ?

  4. 2 arguments semblent indiquer que l’inflation ne sera pas de retour avant longtemps.
    Nous sommes très loin d’utiliser les capacités industrielles dont nous disposons. Il n’y a donc pas de risque de raréfaction de l’offre et par conséquent pas de tension sur les prix.
    Une courbe empirique montre qu‘il y a une relation directement proportionnelle entre augmentation des prix et augmentation des salaires (ou plutôt augmentation de la part des coûts salariaux dans les coûts de production).
    Qui prévoit aujourd’hui des augmentations de salaires pour sortir de la crise ?

    1. Il y a en tout cas une corrélation directe entre pouvoir d’achat et augmentation des prix. Ainsi est-il amusant de l’observer dans le secteur automobile qui offre une palette de produits allant du véhicule low-cost de grande diffusion à celui qui fait office de placement financier (et ostentatoire) réservé au 0,01%.

      Au bas de l’échelle sociale, les foyers vivant de leur seul travail (toujours plus mal rémunéré) mais désirant un véhicule neuf n’ont d’autre option que de se tourner vers la LOA, c’est-à-dire de cumuler les inconvénients de la location et de la propriété. Alors qu’en haut de l’échelle sociale, ceux vivant du travail de l’argent et/ou exploitant le travail des classes laborieuses, ont vu le prix de leurs jouets de luxe suivre la même courbe stratosphérique que celle de leurs revenus.

      L’automobile de luxe, un microcosme en perpétuelle expansion ?
      https://fr.motor1.com/features/348876/edito-automobile-luxe-microcosme-expansion/

      Le même phénomène est à l’œuvre dans le marché (!) de l’art qui s’occupe plus de création de valeur que de création artistique.

      1. Pour illustrer le propos, le haut-fonctionnaire Martin Hirsch racontait une anecdote éclairante.

        Avant d’être en charge de la casse de l’hôpital public, il fut sous le gouvernement Fillon haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté. Et un milliardaire français (bénéficiant donc d’un taux d’imposition dérisoire et de la bienveillance de Bercy quant à son « optimisation » fiscale), à qui il demandait de se montrer plus généreux dans ses donations lui fit la réponse suivante : « hélas mon bon Monsieur, j’aimerais bien être plus généreux avec les fondations et les associations s’occupant des pauvres, mais que voulez-vous, le prix du luxe ne cesse d’augmenter d’année en année. »

    2. Coûts salariaux? Ils sont en effet insupportables.
      Et vous avez oublié le détail des charges ( se prononce ‘chaâarges’)…

      Ceci dit, l’inflation existe. Elle est sérieuse.

      Misère de nous.

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